Maroc : La Mecque des carpistes

Mars 2014 – Lac Bin El Ouidane

La majorité des lacs de barrage marocains se situent au nord du Haut Atlas. Ils vont permettre l’irrigation des terres sur 3 bassins principaux, ceux des fleuves Sebou, Oum er Rbia et Moulouya. S’il existe une centaine de lacs de barrage au Maroc, le pays compte aussi quelques lacs naturels (« aguelman » ou « dayet »). Sur le versant centre de l’Atlas, le lac de Barrage Bin el Ouidane est situé entre Azilal et Beni Mellal et entouré d’un massif montagneux. Ce barrage, mis en eau en 1953, a été construit sur 2 rivières traversant un vallon du Moyen Atlas, en pleine province Berbère. Encastré entre deux pans d’une gorge vertigineuse à 820 mères d’altitude, ce lac de 3 700 hectares (environ 10 km de long sur 4 km de large) atteint une profondeur maximale de 120 m.

Pour rejoindre ses rives, il faut compter 3h de route depuis Marrakech (180 km) ou 200 km depuis Casablanca. Proche du village de Ouaouizert, il bénéficie d’une moindre exposition au vent en raison des montagnes qui l’entourent. Le paysage aux environs du lac ressemble au relief désertique du Colorado avec des couleurs minérales ocres éclatantes. Des oliveraies poussent au moindre coin d’ombre autour du lac. Orienté ouest/est, son rivage est très morcelé. La législation de pêche y est particulièrement contraignante, car les barrages sont considérés comme des lieux stratégiques par les autorités.

Au cœur de l’hiver, la température de l’eau ne descend jamais en dessous de 12°, la température ambiante est très agréable en journée, mais les nuits sont fraîches (entre 2° et 7°). Il pleut environ 4 à 5 jours par mois de novembre à avril. La période allant de mi-mai à mi-octobre est chaude et plus sèche. La meilleure période se situe entre fin février et mi-avril. La fraie se déroule généralement (mais pas tous les ans) fin mars / début avril, lorsque les carpes se regroupent dans les grandes baies (quand les eaux atteignent 18°). La pêche peut également se pratiquer en automne, de septembre à décembre.

Si le lieu est réputé pour ses Black-Bass (jusqu’à 5kg) et ses gros Brochets (jusqu’à 20 kg), nous recherchons en priorité les Carpes. Beaucoup de communes (85%) nagent dans ces eaux, ainsi que de belles miroirs à l’écaillage magnifique. Ces carpes sont très combatives et toutes disposent de nageoires sur-dimensionnées. La souche « hongroise » (à bosse) est la plus répandue. Ces poissons ont été introduits dans les années 1990 et possèdent un potentiel de grossissement important. Des spécimens de plus de 30 kilos ont été pêchés. Elles évoluent en bancs importants très mobiles, se regroupant à certains moments clés de l’année (avant la fraie et à l’automne). D’importantes migrations se produisent alors. Les Carpes se regroupent ainsi en pleine eau près du barrage pendant les grandes chaleurs de l’été et les grands froids de l’hiver.

Diverses configurations de postes existent : des baies immenses très ouvertes avec fosses et hauts fonds, des baies plus petites aux pentes abruptes, des pointes rocheuses ou sableuses. De nombreux îlots constituent aussi de multiples hotspots avec les hauts fonds caillouteux. Les postes qui ont fait la réputation de ce lac se nomment la baie des Français (en queue de lac), la baie du camp de base, la baie des Autrichiens, la baie du fer à cheval, la pointe Colorado (entre la queue du lac et les grands fonds), le poste des 3 îles, la pointe de Dracula ou la pointe de Gérard.

A peine arrivés à l’aéroport de Marrakech, mon coéquipier de pêche et moi sommes pris en charge par les responsables de l’organisation de pêche ayant les droits pour bivouaquer et permettre aux pêcheurs du monde entier de percer les secrets de ce lac mythique. Après 3h de voiture à travers les rues de « Marra » et de sa campagne environnante, viennent les grandes plaines, puis les montagnes. Nous voilà arrivés à Ouaouizert, où nous dormirons dans un hôtel situé à quelques kilomètres du lac. Puis, le lendemain, nous nous dirigeons vers les eaux bleues de Sa majesté.

Face à nous, le spectacle offert nous sidère et tout de suite, nous savons que nous vivrons une semaine magique. Un guide nous demande où nous souhaitons nous placer. Nous lui rétorquons que nous préférons un endroit isolé, une grande baie avec une pointe pour nous donner un maximum de possibilités. Il nous emmène à 20 minutes de bateau, sur un immense îlots de terre, avec une façade rocheuse. Une fois installés sur notre poste de l’île des Deux Ânes, nous décidons de partir en repérage. Après 30 min de repérage, nous ne trouvons rien d’intéressant, ni au visuel ni au sondeur. En outre, aucune carpe ne se manifeste à la surface. Des pêches entre 10 et 14 m rapportent de beaux poissons sur certains postes en fin d’année, mais la profondeur de pêche privilégiée lors de notre passage se situe davantage entre 4 et 7 m. Deux types de poste sont ciblés : les baies (par où le poisson rentre) et les pointes (afin d’intercepter des poissons de passage).

Nous décidons alors de tendre 2 cannes à 40m devant nous en pleine eau, deux sur la prolongation de la pointe ou l’on se trouve en faisant un gros amorçage (billes/maïs) pour tenter d’intercepter les poissons de passage, puis 2 autres sur la berge opposée située à 80m. Deux autres cannes seront placées au large, entre 120 et 250 mètres, sur des spots précis. Au bout de 24h de pêche, nous enregistrons un premier départ : une jolie miroir d’une dizaine de kilos.

Nous nous sommes rapidement rendus compte, avec mon binôme, bien qu’en pêchant les mêmes profondeurs et les mêmes types de fonds, que la ligne qui démarre en premier sera productive quand d’autres, placées proches, ne donneront rien. Nous aurons des départs tous les jours, souvent des carpes de passage, que nous prenons à heure régulière. Nous réaliserons un amorçage massif au maïs, impliquant un réel besoin en volume d’appâts durant ces 6 jours de pêche : pas moins de 300 kilos de maïs cuits seront dispersés sur nos différents coups. La dépose des lignes se fait avec le bateau pneumatique, permettant de déposer la ligne de manière optimale, sur le spot souhaité, tout en l’amorçant avec précision.

Les cannes pêchent toutes au maïs avec deux vrais grains et 2 flottants en plastique afin d’avoir une présentation optimale de l’hameçon sur le fond. Nous disposons de trois cannes chacun. Les montages se composent de 10m de tête de ligne 70/00, une agrafe plomb, et un bas de ligne en fluorocarbone. Les lignes sont toutes retendues le matin vers 10h et le soir avant de manger entre 50 et 200m du bord et dans 4 à 9m de fond. Tous les matins, les carpes sautent au lever du jour. Nous nous réveillons tôt, tous les jours, afin de profiter de ce spectacle. Et en effet, les poissons se manifesteront durant les premières heures du jour et ce, très loin du bord. Tous les soirs, nous les entendrons également sauter dans les fonds de baies ou en pleine eau.

Nous amorçons systématiquement une grande zone autour de nos postes pour créer une émulsion, pour que dès qu’un banc de carpes passent, ces dernières rentrent en concurrence alimentaire et fouillent le poste. L’amorçage sera concentré sur certains spots qui seront reliés par des petits chemins d’un mélange de graines et de bouillettes.

Dans une baie, si les poissons sautent peu, sachez qu’ils peuvent être là et actifs. Parfois même, ils sautent (une centaine de sauts par soir) et ne mordent pas. Il peut vous arriver de ne rien faire pendant 2 jours et dérouler en quelques heures. Constamment en quête de nourriture, les poissons se déplacent à la recherche de faune benthique. Tôt ou tard, le poisson peut passer et s’intéresser à votre amorçage, s’il y a suffisamment d’appâts pour les retenir.

Nous prendrons moins de poissons, par rapport à ce que nous avions imaginé. Mais le plus important ne sera pas là : quoi de plus ressourçant que de passer 1 semaine au bord de ce joyau, à contempler ces montagnes, à entendre le bruit des cloches d’un troupeau de chèvres ou bien les vaguelettes s’échouer sur le rivage. Nous sommes hors du temps. Celui-ci s’arrête, plus rien ne compte, vous êtes déconnectés de votre quotidien, de vos problèmes…

Le retour sera rempli de nostalgie. Quitter le lac, c’est laisser derrière soi une partie de vous-même. Heureux de retourner auprès des vôtres, vous aurez aussi ce sentiment ambivalent de partir d’un endroit familier, qui vous aura procurer à coup sûr des émotions mémorables. Nous prendrons une jolie commune d’une quinzaine de kilos. Quand vous prenez un beau poisson, c’est un moment unique que de réaliser une séance photos, les pieds dans l’eau, avec un décor somptueux derrière vous. Des images plein la tête, vous rentrez chez vous avec le sentiment d’avoir accompli un rêve…